Histoire du consulat de France à Alexandrie

En 2011, le palais consulaire français à Alexandrie fêtait ses 100 ans. Ce magnifique bâtiment témoigne aujourd’hui d’une présence consulaire française bien plus ancienne.

Ville phare de la méditerranée, porte ouverte sur l’Orient, Alexandrie a en effet attiré marchands et voyageurs de tout le pourtour méditerranéen depuis sa création par Alexandre le Grand. Dès le XIIème siècle, des marchands venus de Montpelier, de Narbonne, de Barcelone puis de Marseille y ont fondé un comptoir commercial. En 1215, trois milles marchands francs résident à Alexandrie ! Ils se font déjà représenter par un ou plusieurs consuls élus, chargés d’ordonnancer le commerce. Ces consuls sont sous la dépendance directe des guildes de marchands des villes de Provence et du Languedoc.

Au XVème siècle, les rois de France étendent leur emprise sur le commerce maritime, en particulier avec l’Orient. En 1492, Charles VII nomme Philippe de Parêtes, négociant barcelonais, Consul de France à Alexandrie. A sa mort, les Catalans d’Alexandrie désignent un nouveau consul qui s’empresse d’obtenir des lettres de provisions de François Ier, témoignant ainsi de l’évolution de la charge municipale vers une fonction royale. En 1536, le Sultan Soleiman et François Ier signent le traité dit des « Capitulations ». Ce traité, qui mentionne explicitement Alexandrie, autorise le roi de France à nommer un consul dans les villes importantes de l’Empire ottoman où les libertés commerciales, civiles et religieuses sont garanties à tous ses sujets.

Sous le régime des « Capitulations », le rôle des Consuls devient de plus en plus politique, au grè des crises et des rapprochements avec les Ottomans, jusqu’à 1798 et la campagne d’Egypte. Afin de préparer la prise d’Alexandrie, le Consul Jean-André Magallon transmet à Talleyrand, Ministre des Relations extérieures du Directoire, un rapport très détaillé sur les défenses de la ville.

En 1803, Bernardino Drovetti est nommé Consul.
Alors que la menace anglaise se fait de plus en plus pressante, il se rapproche du nouveau maître de l’Egypte, Mehemet Ali. Les Britanniques quittent le pays et une période d’intense collaboration débute entre la France et l’Egypte. Mehemet Ali fait don d’un terrain à la France en 1832, qui correspond aujourd’hui à la place Ahmed Orabi, mais dont l’ancien nom « Jardins français » n’a pas encore été tout à fait oublié. La même année, Ferdinand de Lesseps fut nommé Vice-Consul à Alexandrie. C’est ici, avant son départ pour le Caire l’année suivante, que serait né dans son esprit le projet du Canal de Suez.

Le boom cotonnier, à partir de 1863, et l’arrivée massive d’européens à Alexandrie transforment la ville et marquent l’apogée du pouvoir des consuls étrangers. Le Consulat général de France déménage sur la place des consuls, ou place Mehemet Ali, aux côtés du consulat général de Grèce, de Suède, des Pays-Bas et du Tribunal Mixte. L’ensemble consulaire français regroupe la chancellerie, la résidence consulaire, le tribunal et la poste française dans un vaste quadrilatère compris entre le front de mer et la place.

La place des consuls, symbole de l’Alexandrie cosmopolite du XIXème siècle, est presque entièrement détruite par le bombardement britannique du 10 juillet 1882. Le Consulat de France est alors transféré dans un immeuble de style néo-classique situé rue Nabi Daniel jusqu’à ce qu’en 1907, le gouvernement français obtienne une parcelle située sur la corniche, nouvellement construite, gagnée sur la mer. Les plans sont conçus par l’architecte Samuel Victor Erlanger, natif de la ville. Ce dernier est aussi à l’origine de la maison abritant l’actuel consulat général des Etats-Unis et de la chambre de commerce. La pose de la première pierre a lieu le 12 septembre 1909, et le nouveau consulat de France à Alexandrie est inauguré deux ans plus tard, en 1911.

Ce palais appartient à la génération des immeubles alexandrins qui accompagnèrent l’histoire de la ville du début du XXème siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale. C’est une illustration typique de l’idée de la citadinité que reproduisait alors cette société plurielle formée d’immigrants européens (Italiens, Grecs, Maltais,…) ainsi que des membres des minorités du Moyen Orient ; ville de diaspora dont les phases de croissance épousèrent, jusqu’en 1954, les crises internationales. L’architecture de l’hôtel consulaire demeure révélatrice de l’ « âge d’or » européen qui constitua une des spécificités de la ville.

Au sein de la communauté française du début du XXème siècle, forte de 5220 membres, se mêlent des chrétiens plutôt aisés et de nombreux citoyens d’origine algérienne, israélites ou musulmans. Ces « sujets protégés par la France » ne survivent souvent que grâce aux aides sociales mises en place par le consulat. Les cent-dix noms inscrits sur le monument aux morts du consulat témoignent de la grande diversité des Français d’Alexandrie à l’époque de la Première guerre mondiale. Parmi eux figure Marcel Erlanger, frère de l’architecte de l’actuel palais consulaire, ainsi que Hadj Karem Hadj Ahmed El Gholti, petit-neveu de l’émir Abdelkader. Un hôpital militaire fût également installé et cent-six soldats, n’ayant pas survécu à leurs blessures, reposent aujourd’hui dans les trois cimetières militaires (chrétien, juif et musulman) de la ville.

Après la guerre, le Consulat poursuit sa tâche de soutien à la communauté française, alors forte de presque 10 000 membres. Le bâtiment de la rue Nabi Daniel devient la « Maison de France », point de ralliement des Français d’Alexandrie. Mais la défaite de 1940 et l’avènement du régime de Vichy affectent profondément la vie du Consulat de France à Alexandrie, qui, malgré la répression, voit son influence diminuer au profit des partisans de la France libre. Bien qu’officiellement dissoute, la « Mission laïque » poursuit ses activités pédagogiques dans les établissements francophones. L’autorité consulaire est transférée au Caire en 1941 et le Bureau de la France combattante installe son siège à la « Maison de France » d’Alexandrie où le Général de Gaulle donne une conférence de presse le 6 avril. En 1942, le Général nomme Pierre Moeneclay Consul de France et Directeur du Bureau de la France combattante à Alexandrie. En juillet de la même année, les relations diplomatiques entre l’Egypte et la France de Vichy sont rompues. Le Consulat rouvre ses portes en 1944 dans la liesse de la Libération.

Le 26 juillet 1956, le président Nasser annonce, au balcon de la Bourse du coton, sur l’ancienne place des consuls, la nationalisation du Canal de Suez. C’est la fin de l’Alexandrie cosmopolite, beaucoup d’étrangers quittent la ville. Les relations diplomatiques entre la France et l’Egypte sont rompues le 1er octobre, lors de l’expédition tripartite.

Le consulat général de France à Alexandrie ne rouvre ses portes qu’en 1963 et le centre culturel français est installé dans l’ancienne « Maison de France » rue Nabi Daniel quatre ans plus tard. Le consulat est devenu un consulat général d’influence le 1er août 2004, un nouveau concept reflétant la volonté de moderniser et de rationaliser le réseau diplomatique et consulaire. Son enracinement dans le paysage urbain d’Alexandrie reste symbolisé par un bâtiment prestigieux, dont la visibilité semble garantir à bon nombre d’alexandrins de tous horizons la sauvegarde de leur spécificité francophile.


D’après « L’histoire de la présence consulaire française à Alexandrie » de Jean-François Fau.

Dernière modification : 08/05/2016

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